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La fée de la Lienne et la Chèvre d'Or
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Une route longe presque tout le cours de la Lienne, rivière poissonneuse que les pêcheurs connaissent bien.
Un charme paisible subsiste dans cette vallée sinueuse.
Est-il dû aux pentes, souvent plus douces qu'ailleurs, ou à la sauvage grandeur du confluent de la Lienne et de l'Amblève?
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Retirée, assez assoupie, la vallée n'a jamais été riche.
Au Moyen Âge, de modestes seigneurs régnaient là, dans une ferme-château à demi en ruine.
Le jeune baron, Rambert, était un garçon aimable et rêveur.
Ménestrel plus que guerrier, il aimait mieux rêver dans les clairières sauvages que courir les tournois.
À la chasse, il lui arrivait de s'attendrir sur la bête que visait sa flèche. Il lui laissait la vie sauve.
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Un matin, il venait d'épargner une biche parce qu'elle le regardait avec des yeux de jeune fille, les plus beaux yeux qu'il eut jamais vus.
Il s'endormit au pied d'un hêtre. Son sommeil était d'une étrange douceur, comme celui des enfants.
Il fut réveillé par ce qu'il prit d'abord pour un rayon de soleil. Un regard merveilleusement chaud et lumineux se posait sur lui.
Il ressemblait à celui de la biche à qui il avait laissé la vie sauve.
C'était celui d'une toute jeune femme, extraordinairement fine de corps et de traits, aux longs cheveux blonds flottant librement.
Sans aucun bijou, elle n'en était que plus charmante.
Vêtue de voiles légers de la couleur et de la consistance des buées matinales, elle ne ressemblait à aucune des filles de seigneurs de la région.
Elle menait paître une petite chèvre aux poils dorés. Aucune des damoiselles de Salm, Rallier, Mont jardin ou autres châteaux n'aurait ainsi joué à la bergère.
Pourtant l'inconnue était visiblement de bien plus noble lignage qu'elles.
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- Quel est ton nom, belle enfant? demanda Rambert, ébloui. Elle ne répondit pas vraiment à la question:
- Appelle-moi Lienne, dit-elle.
Sa voix chantait comme celle du ruisseau dans le silence matinal. Rambert ne songea pas à lui demander si elle descendait d'une ancienne famille de seigneurs de la vallée. Lienne, comme la rivière, c'était suffisant. La jeune fille posait sur le jeune seigneur un regard d'ange. Rambert croyait rêver.
- Lienne, je ne veux plus te quitter, dit-il. Tu es ce que j'ai vu de plus beau au monde. Épouse-moi.
Lienne voulut se dérober à un amour si subitement déclaré. Elle paraissait divisée, à la fois inquiète et comblée.
- Je n'aurais pas dû... murmura-t-elle.
- Que veux-tu dire? lui demanda Rambert, inquiet.
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- Je n'aurais pas dû t'apparaître. Je te trouvais tellement différent des autres jeunes hommes.
J'ai succombé à la tentation de prendre forme humaine. Je suis la fée de cette rivière. Je ne puis vivre ainsi sous tes yeux que durant cinq ans.
C'est très peu, cinq années d'un bonheur dont on ne guérit pas!
- Lienne, cinq années, c'est un trésor. Chaque minute de ta présence est un miracle. Nous aurions pu ne jamais nous rencontrer!
Lienne se laissa fléchir:
- Es-tu sûr que je ne fais pas ton malheur?
- Tu le ferais à l'instant si tu me quittais.
Les deux jeunes gens se marièrent. Des nutons, appelés par la fée, leur bâtirent, en trois nuits, une tour sur le rocher de Grimbiémont.
Le castel n'était pas grand, mais de fière allure, et orné avec grâce.
Rambert était un chevalier pauvre, mais le couple, qui était le plus beau de toute l'Ardenne, d'Anlier à Aywaille et de Bouillon à Montjoie, n'avait nul souci d'argent.
Il suffisait de tondre la chèvre aux poils d'or pour payer serviteurs, vêtements et nourriture. La toison repoussait aussitôt.
En ce temps où le métal précieux était très rare dans nos contrées, c'était une aubaine féerique. Le couple en profitait pour aider tous les pauvres gens de la vallée.
Ainsi son bonheur se reflétait-il dans les yeux des veuves, des orphelins, des malades et des vieillards.
Contrairement à celui de Lienne, le bonheur de Rambert n'était assombri par aucune angoisse.
Il lui semblait que la transparence des matins de mai dans la vallée, le cuivre des après-midi de septembre, le givre sur les branches des aulnes, que tout cela était devenu, dans sa compagne, regard, parole, rire clair.
Être une fée, était-ce cela? Transformer en un être vivant la mystérieuse beauté d'une rivière, d'un arbre, d'une forêt?
Peut-être, mais cet enchantement était trop fragile pour rester longtemps incarné dans un humain.
Il devait échapper à l'âge, transformé en un être intact et ne laisser qu'un souvenir après sa disparition.
Les jeunes morts, filles, héros, poètes, ne vieillissent jamais.
Lienne le savait, mais elle en chassait la pensée. Pourtant le temps passait. Au cinquième été, la fée dit à Rambert:
- Mon amour, il nous faut nous quitter. Mon temps est fini. Ne sois pas malheureux. Je resterai, invisible, sur les bords de la rivière dont je porte le nom.
Rambert était atterré:
- Ce n'est pas possible: tu as mal compté les années. Notre bonheur n'a pas cinq ans. Reste! Que ferai-je sans toi?
- Sois heureux, toi qui peux continuer à vivre sur terre. Je te laisse en souvenir la chèvre d'or. Je ne t'oublierai jamais.
Sur ces mots, Lienne se transforma doucement en une buée de la couleur de sa robe.
Une brise légère l'emporta vers le sommet des arbres de la rive du ruisseau. Le soleil du matin l'y fit disparaître. Le même soleil que le jour de la rencontre.
Rambert eut l'impression d'avoir vécu ces cinq années en une seule seconde. N'avait-il fait que songer?
La petite chèvre d'or, venue gambader près de lui, lui rappela que quelque chose lui restait de sa féerique compagne de ces cinq saisons.
Mais Rambert ne se souciait ni d'or, ni d'argent. Pendant des semaines, il ne se lassa pas de parcourir la vallée à la recherche d'un reflet de son amour.
Plusieurs fois, dans la lumière du matin, dans le brouillard qui se déchirait devant le soleil, il crut apercevoir Lienne.
Mais ce qu'il avait pris pour la charmante silhouette se dissipait à son approche.
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Avec l'or de la toison de la petite chèvre, qu'il confia à un pieux ermite de la région, il paya les cuirasses et les chevaux d'une troupe d'hommes de la région, et ils partirent ensemble à la Croisade.
Rambert et ses compagnons s'y couvrirent de gloire. Son armure, portant son écusson frappé de la chèvre d'or, le protégeait au milieu des mêlées les plus folles où le jetait sa témérité.
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Quand il revint à Grimbiémont, la tour, abandonnée, était froide et inhospitalière.
Sur les conseils de l'ermite, il employa l'or de la chèvre à construire un autre château, à Grimbiéville, à l'autre extrémité de son domaine.
Il espérait y oublier Lienne, dont l'absence, à Grimbiémont, l'obsédait.
L'ancien croisé était devenu un homme robuste, dont le regard bleu, décidé et fier de guerrier, se voilait parfois d'une tristesse passagère.
Il épousa, à Grimbiéville, la fille d'un seigneur de la région.
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Une part de son cœur, celle du rêve, restait captivée par le souvenir de Lienne. Il fut pourtant un bon époux, et sa lignée dura plusieurs siècles.
On s'y transmit la chèvre d'or qui vécut longtemps, amusant les enfants.
Les villageois de la vallée la bénissaient: l'or de la toison rendait les seigneurs de Grimbiémont assez riches pour ne pas leur imposer l'impôt de la dîme.
On ne leur demandait que quelques corvées nécessaires: entretenir un chemin, réparer un pont abîmé par une crue à la fonte des neiges.
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Au «siècle de malheur», lors des guerres menées par Louis XIV dans nos régions, la peste suivit les ravages des combats.
En 1684, elle fit des milliers de victimes en Ardenne, décimant des villages entiers.
Comme dans les «danses de mort» représentées par les peintres populaires, le mal frappait aussi bien les riches que les pauvres, les seigneurs que les manants, les clercs que les ignorants.
Le seigneur de Grimbiéville, lointain descendant de Rambert, mourut le même jour que ses trois fils. Le lignage était éteint.
Les villageois qui survivaient au terrible fléau n'eurent pas à les porter en terre. La nuit même, un terrible orage éclata.
La foudre frappa le château, qui flamba sans que personne n'ait la force d'aller combattre feu.
Dans les flammes, les villageois virent s'élever vers le ciel une silhouette bien reconnaissable: la petite chèvre d'or, dont les bienfaits n'étaient promis qu'à la descendance de Rambert.
Quant à la fée nommée Lienne, a-t-elle tout à fait déserté les lieux de son amour?
Allez rôder près de la rivière, le matin, au moment où le soleil perce la brume.
Si vous êtes attentifs à ce que vous voyez, et à ce que vous devinez au-delà, vous répondrez : « Elle n'a pas disparu... »
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Texte : Légendes d'Ourthe-Amblève et des environs, Frédéric Kiesel
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Brasserie de la Lienne - Reharmont, 7 4990 Lierneux |
info@brasseriedelalienne.be |
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